Les toits du Nord

Publié le 5 octobre 2024 - Texte par Camille Eustache
Le toit de la cabine à Renate, non loin de Balestrand en Norvège, photo d’Emerick Duquette

En explorant le Danemark et la Norvège, nous avons développé un intérêt particulier pour les toits du Nord. Partout dans le monde, le toit est synonyme de protection. Il a le rôle important de résister aux intempéries. Le climat local a donc une grande influence sur la manière de le construire. En portant attention aux toits, il est possible d’en apprendre beaucoup sur un pays. À travers une série d’observations et de recherches, nous avons rassemblé nos découvertes sur cette composante du bâtiment propres aux deux pays nordiques.

1. Les caractéristiques du Nord

Peu importe les types de toits, nous avons remarqué que certaines caractéristiques étaient toujours présentes. Au Danemark et en Norvège, les températures sont froides en hiver et les risques de gels sont courants. Il est donc important que les toits soient bien isolés pour que les bâtiments soient confortables toute l’année. De plus, ces deux pays sont bien connus pour leurs précipitations abondantes. Les toits doivent être capables d’évacuer l’eau de pluie et de supporter les charges de neige. Ensuite, particulièrement en Norvège, la nature est partout. Avec des paysages côtiers spectaculaires et une végétation foisonnante, l’architecture est conçue pour ne pas dominer la nature. Ainsi, l’utilisation de matériaux locaux est également très répandue. Enfin, il y a souvent un mélange de fonctionnalité et d’esthétisme dans les conceptions nordiques. Nous l’avons remarqué même pour les toits. La réflexion derrière chaque construction et le souci du détail sont caractéristiques.

2. Les puits de lumière au Danemark

Le temps pluvieux et les courtes journées d’hiver font en sorte que la lumière naturelle est précieuse au Danemark. Comme le disait l’ingénieur danois Villum Kann Rasmussen: « The most important prerequisite for all life and work is light. ». C’est avec cette idée en tête qu’il a fondé la compagnie VELUX en 1941 au Danemark. La compagnie est maintenant connue à l’international pour ses puits de lumière; une fenêtre dans le toit qui permet d’éclairer et de ventiler l’espace intérieur. L’ingénieur a développé le premier puits de lumière VELUX dans le but de transformer les combles des toits danois en espaces habitables. Les superficies intérieures normalement perdues sont devenues confortables grâce à l’apport de lumière naturelle et d’air frais. L’idée du puits de lumière s’est répandue dans le pays et nous en avons observé sur quasiment tous les toits.

Les puits de lumière dans une toiture à Copenhague au Danemark, photo d’Emerick Duquette
Le nom de la compagnie est inspiré par la mission du fondateur: VE pour « ventilation » et LUX pour « lumière »!

3. Les toits de chaume au Danemark

C’est dans la campagne danoise que nous avons remarqué plusieurs maisons aux toits de chaume. Cette technique de construction traditionnelle consiste à utiliser de la paille pour recouvrir le toit en guise d’isolation et d’étanchéité. Simples et efficaces, les toits de chaume n’étaient pas construits seulement au Danemark. Cette technique était utilisée partout dans le monde. Par contre, à cause de la nécessité d’un entretien régulier et du risque d’incendie trop élevé, elle a disparu avec le temps. Après plusieurs années, les toits de chaume ont regagné l’intérêt de certains danois dans le domaine de la construction écologique. Le but ambitieux du Danemark de réduire ses émissions de CO2 de 70% d’ici 2030 a amené les concepteurs et les constructeurs à explorer des matériaux de construction organiques. D’un point de vue écologique, les toits de chaume sont très intéressants. Ils sont complètement biosourcés, c’est-à-dire qu’ils sont faits avec des matériaux naturels et renouvelables. Leur fabrication est peu polluante et ils sont recyclables en fin de vie. Le Danemark a donc rejoint la Société Internationale du Chaume, une plateforme d’échange sur les connaissances et les innovations de ce matériau de construction. Le but à long terme de l’association est d’améliorer le toit de chaume traditionnel pour qu’il devienne une technique de construction moderne et compétitive.

Un toit de chaume dans la campagne danoise, photo d’Emerick Duquette

4. Les toits en algues au Danemark

C’est en cherchant des informations sur les toits de chaume que nous avons découvert les toits en algues. Ce type de toit est unique au monde, nous ne pouvions pas passer à côté sans en parler. On le retrouve seulement sur la petite île de Laesø au nord du Danemark. Traditionnellement, la technique comprenait la récolte de la zostère marine (une plante aquatique abondante après les tempêtes d’automne), le séchage, le tressage et la mise en place sur la structure du toit. Il en résultait une couverture argentée de plus d’un mètre d’épais imperméable, carboneutre, isolante et naturellement résistante au feu, à la pourriture et aux parasites. Au début du 20e siècle, la majorité des bâtiments de l’île avaient un toit en algues. En 1920, une maladie fongique a détruit une grande partie des zostères marines présentes dans l’eau et la technique de construction a lentement disparu. Aujourd’hui, l’île ne compte plus que 36 toits en algues. Heureusement, la durabilité de ce type de toit a permis de préserver ceux qui restent; le plus vieux datant de plus de 300 ans. Les toits en algues ont piqué la curiosité de l’architecte américaine Kathryn Larsen qui habite au Danemark depuis plusieurs années. Durant ses études à Copenhague, elle s’est intéressée aux propriétés exceptionnelles de ce type de toit et à son potentiel écologique énorme. Puisqu’on retrouve la zostère marine partout dans le monde, elle la voit comme une matière qui pourrait être récoltée localement et utilisée de manière moderne dans plusieurs pays. Encore aujourd’hui, elle travaille pour promouvoir cette matière première et les possibilités qu’elle offre en architecture écologique.

L’un des 36 toits en algues restants sur l’île de Laesø au Danemark, photo de Thomas Kyhn Rovsing Hjørnet/Alamy

5. Les toits en tuiles d’argile au Danemark et en Norvège

Nous avons remarqué une multitude de toits en tuiles d’argile de différentes couleurs au Danemark et en Norvège. Comme il y a une grande quantité d’argile dans les sols danois, cette matière première est exploitée depuis longtemps dans la région pour fabriquer des matériaux de construction. En plus des tuiles de toit, ils utilisent l’argile locale pour produire des briques, un revêtement caractéristique du pays. À travers le temps, la construction de plusieurs usines a permis de développer l’industrie de tuiles d’argile dans le nord de l’Europe. Deux usines en particuliers, une au Danemark et une en Allemagne, utilisent des techniques uniques pour fabriquer des tuiles d’argile adaptées au climat nordique. Avec une matière première locale, une cuisson à haute température et un savoir-faire traditionnel, les tuiles produites sont très solides et absorbent peu d’eau. L’usine au Danemark offre des tuiles classiques au fini mat et aux tons de terre. L’usine en Allemagne, quant à elle, propose des tuiles particulières qui sont glacées comme de la céramique. Même si nous avons vu plusieurs toits en tuiles d’argile, il faut se méfier des imitations. Celles-ci ont la même apparence, mais ne sont pas uniquement composées d’argile, ce qui en fait un produit de moins bonne qualité qui se dégrade rapidement avec le temps. Comme quoi le choix de matériaux de construction de bonne qualité a un impact sur la durabilité et sur l’empreinte environnementale des bâtiments.

Les tuiles d’argile sur le toit d’un atelier d’artistes au Danemark, photo d’Emerick Duquette
Les multiples toits en tuiles d’argiles à Bergen en Norvège, photod’Emerick Duquette

6. Les toits en tuiles d’ardoise en Norvège

Typiques en Norvège, nous avons vu des toits en tuiles d’ardoise partout, de la ville jusqu’à la montagne. L’utilisation de l’ardoise dans les constructions norvégiennes date du 15e siècle. L’ardoise est une roche présente dans les sols norvégiens qui est extraite dans les trois principales carrières à Otta, Oppdal et Alta. Avant, elle était utilisée localement, parce que le transport par cheval était limité en raison du poids pesant des roches. Avec le développement du chemin de fer, les tuiles d’ardoise se sont répandues à travers le pays. Aujourd’hui, les trois carrières sont encore en exploitation pour extraire, transformer et commercialiser l’ardoise et la phyllite; deux types de roches aux propriétés constructives équivalentes. Même si l’extraction et le transport se sont modernisés, le fendage et le taillage se font toujours majoritairement à la main. Les tuiles sont utilisées de différentes manières que ce soit comme revêtement au toit, au mur ou au sol. Pour l’installation en toiture, chaque tuile est vissée ou clouée à des lattes de bois posées horizontalement et verticalement sur la membrane imperméable du toit. Caractérisées par leur couleur gris foncé, les tuiles d’ardoise sont 100% naturelles et idéales pour le climat norvégien. Elles ont une durabilité presque éternelle, une résistance au gel et une grande solidité pour supporter les accumulations de neige en hiver.

Un toit en tuiles d’ardoise dans les montagnes norvégiennes, photo d’Emerick Duquette
Les tuiles d’ardoise peuvent avoir plusieurs formes: en queue de poisson, en diamants, irréguliers, hexagonaux, gothiques, en coins coupés, etc, photo d’Emerick Duquette
Avec le temps, l’ardoise s’oxyde et sa couleur devient cuivrée, photo d’Emerick Duquette

7. Les cheminées en Norvège

Une roche sur le dessus de la cheminée et une échelle sur chaque toit, ce sont deux observations qui nous ont beaucoup intriguées en Norvège. Les explications sont, en fait, toutes simples. Comme les précipitations sont régulières et abondantes, les Norvégiens placent une tuile d’ardoise et une roche par-dessus chaque cheminée pour éviter les infiltrations. Ainsi, la tuile bloque la pluie et la neige puis la roche garde la tuile en place lors des grands vents. Pour ce qui est de l’échelle, elle est exigée par la loi. Elle permet aux ramoneurs d’avoir un accès sécuritaire à toutes les cheminées de la Norvège. Selon nous, elle facilite aussi le travail du Père-Noël la nuit 24 décembre!

La roche et l’échelle sur un toit à Strandebarm en Norvège, photo d’Emerick Duquette

8. Les toits en gazon en Norvège

Nous avions déjà vu des toits verts avant d’arriver en Norvège, mais nous n’avions encore jamais vu de toits en gazon. Dans les dernières années, la construction de toits verts s’est standardisée. Aujourd’hui, les plus populaires sont les toitures vertes extensives composées de plusieurs membranes, d’une mince couche de substrat et d’une association de plantes grasses, de sedums et de mellifères. Ce type de végétation est peu coûteux, facile à installer et ne demande qu’un entretien minimal. Par contre, puisqu’il n’est pas issu de la végétation locale, il n’aide pas la biodiversité du lieu dans lequel il est implanté. Au contraire, il la déstabilise. En parallèle, une tendance pour la construction de toits verts qui permettraient réellement de soutenir la biodiversité locale commence à se développer. Les toits en gazon norvégiens sont alors une bonne source d’inspiration traditionnelle pour une réinterprétation moderne. Le mot « gazon » utilisé pour décrire le type de toit ne fait pas référence au gazon vert, tondu et rempli de pesticides. Il représente la couche de sol naturel où poussent de la mousse, des plantes et des fleurs sauvages. La technique couramment utilisée en Norvège et en Suède était appliquée à la majorité des maisons en bois jusqu’à la fin du 19e siècle. Elle consistait à recouvrir la structure du toit d’écorce de bouleau en guise de couche imperméable. Celle-ci était ensuite recouverte de deux couches de gazon issues du site de construction. L’ensemble formait une composition de toit complètement adaptée. Le gazon permettait de protéger la couche imperméable, les racines assuraient le drainage de l’eau et l’épaisseur servait d’isolation. Quant aux plantes de la couche végétale, en provenant directement du terrain, elles étaient en parfaite harmonie avec la biodiversité locale. Ce n’est pas pour rien que les toits en gazon suscitent un intérêt grandissant dans le domaine. En utilisant des membranes imperméables modernes, l’utilisation de végétation locale pourrait être appliquée à de nouveaux bâtiments. À ce moment, la construction de toits verts pour aider à compenser une partie du terrain perdu prendrait tout son sens.

Les toits en gazon de la Norvège se camouflent dans le paysage naturel, photo d’Emerick Duquette
Avec le temps, des petits arbres grandissent sur les toits en gazon norvégiens, photo d’Emerick Duquette

Les observations et les recherches nous ont permis d’en apprendre sur les toits du Danemark et de la Norvège, mais aussi sur les pays eux-mêmes. Elles nous ont permis de découvrir une partie de la culture du Nord, de comprendre l’histoire des toits et de voir les potentiels écologiques. Avec notre climat nordique québécois semblable à celui des deux pays, leurs toits pourraient nous servir d’inspiration pour développer des techniques modernes de compositions de toits écologiques. Mélangées à nos savoir-faire traditionnels et actuels, ces inspirations pourraient même mener à des innovations.

 

 

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Les sources pour plus d’informations:

https://www.velux.com/who-we-are/about-us

https://its-thatchers.com/content/denmark/

https://www.bbc.com/travel/article/20200805-denmarks-300-year-old-homes-of-the-future

https://kathrynlarsen.com/

https://www.randerstegl.com/en/roof-tiles/articles/roof-tiles-from-randers-tegl

https://www.youtube.com/watch?v=ddYq9g-OTmQ

https://mineraskifer.no/en/about-minera-skifer/

https://peskatun.no/about/

https://ottaskifer.no/en/about-us/

https://www.cupapizarras.com/fr/actualite/phyllite-ardoise-differences-caracteristiques/

https://www.thenatureofcities.com/2014/08/28/the-new-is-well-forgotten-old-scandinavian-vernacular-experience-on-biodiverse-green-roofs/

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